LAMA MEUR / YANN BER / kan ha diskan

LAMA MEUR / YANN BER kan ha diskan

« Kan ha Diskan »

Le « Kan ha Diskan » est une forme de la chanson particulière à la Bretagne, où, en faisant danser, les chanteurs content au peuple dés histoires tendres ou dures, poétiques, parfois satiriques. Mais la censure politique a toujours eu cours dans les Festoù-noz, par des proverbes bien connus : « Etre Breton, c’est être plouc », « Le breton n’est pas une langue noble et ne peut pas tout dire », ou par la crainte de représailles en avançant des arguments autres que sentimentaux et romantiques. A cause de cela, certaines chansons politiques n’ont jamais dépassé les limites de leur commune d’origine et ont disparu. Souvent, les très rares chansons qui nous parviennent sont des satires de l’ancien régime quand elles sont anciennes ou, si elles sont actuelles, le chanteur — pour s’excuser d’être aussi audacieux dans ses paroles — prétend les avoir entendues de son grand-père ou d’un inconnu dans une fête, alors qu’il en est peut-être l’auteur, mais… censure oblige. Dans le combat qu’il nous faut mener aujourd’hui pour manifester notre droit à la dignité humaine, à l’égalité de tous et à la reconnaissance des droits de tous les travailleurs, le travail du chanteur — issu du peuple et en faisant partie — est, par sa créativité personnelle, d’englober tous les aspects de la vie dans ses chansons, c’est-à-dire qu’en plus de l’amour, de la joie, des fléaux, il doit ajouter les luttes du peuple, victorieuses ou non (car toute lutte est une expérience utile), et leurs conséquences pour les marins, les paysans, les ouvriers, etc…

Il faut donc continuer à créer sur tous les thèmes possibles, à condition que le fond de ces chansons soit susceptible de toucher le peuple ; inutile de créer des chansons qui ne toucheraient personne. C’est ici que réside le choix du chanteur, donc son apport personnel à la vie du peuple : équilibrer les thèmes, comme ils le sont dans la vie quotidienne de chacun ; il serait étonnant que dans une journée on puisse ne se poser aucun problème politique — et si cela est, il faudrait s’en poser un jour — il faut donc le faire dans les Festoù-noz si l’on veut qu’ils restent un phénomène populaire non transformé en petit bal du samedi soir rapportant de l’argent.

Le but de ce disque est donc de répandre nos chansons et notre pratique, et aussi d’essayer d’aller contre cette censure qui fait que les Festoù-noz se prostituent de plus en plus, qu’ils sont de plus en plus nombreux, et de moins en moins spontanés.

Ra vezimp komprennet, a greiz kalon,
LAMA MEUR

S’engager dans le combat culturel populaire breton, qu’est-ce finalement, sinon assumer une certaine production plus ou moins personnelle, individuelle, à fin de consommation par le plus grand nombre ?

Une telle attitude semble, hélas, relever plus d’une obligation que d’un choix. En effet, comment agir autrement dans notre société actuelle entièrement orientée vers cette bipolarité : produire et consommer ? Comment faire pour que l’ouvrier spécialisé dans le montage d’enjoliveurs d’Ami 8 puisse employer son temps de loisir autrement qu’en allant consommer les productions d’autres spécialisés : metteurs en scène, acteurs de cinéma ou de théâtre, écrivains, poètes, chanteurs ou musiciens ?

C’est pourtant là un cercle vicieux qu’il faut briser si l’on veut mener un combat culturel qui soit authentiquement au service du peuple breton, c’est-à-dire un combat qui, à terme, doive l’amener à renouer avec un type de vie culturelle qui était le sien, bien que fortement aliéné au XIX’ siècle.

Cette culture était celle du quotidien ; elle était l’expression de la quotidienneté de l’existence : le paysan, le meunier, le tailleur, le charron, etc…, étaient compositeurs, chanteurs, conteurs, sculpteurs. Et la matière de ces chansons, contes ou sculptures, était la vie de tous les jours de ce peuple travaillant dur, de ce peuple frondeur avec ses bourgeois et ses aristocrates, mais à genoux devant son dieu et ses curés, de ce peuple grand fournisseur de prêtres, de religieuses, de marins, de missionnaires… La matière, c’était la douleur du « kloareg » (séminariste) devant quitter sa douce amie pour la rigueur des ordres, ou celle de la délaissée pleurant son amant parti gagner des âmes à Dieu dans les pays lointains ; c’était la colère des pauvres gens de la campagne contre les bourgeois des villes ou contre la conscription obligatoire, la joie du paysan devant la beauté de sa moisson ou l’abattement devant le malheur ou la catastrophe… C’était aussi l’événement, heureux ou malheureux, que l’on mettait en rimes et qui, le plus souvent par la bouche d’un « Klasker bara » (mendiant), se colportait de village en village à travers la Bretagne.

Voilà notre héritage, lourd de toute l’aliénation d’un peuple dominé, mais aussi riche d’un mode d’expression original et rompant avec ce processus de hiérarchisation, de spécialisation, qui fait des uns les tenants d’une activité noble. et des autres ceux d’activités roturières, qui institue certains au rang de producteurs culturels et le reste au rang de consommateurs.

Et c’est justement cette « richesse » qu’il faut retrouver aujourd’hui. L’« artiste », dans la phase de combat qui est actuellement la nôtre, quand il produit ou se produit, ne doit pas référer à lui-même, c’est-à-dire assumer une production individuelle, mais à ceux à qui il s’adresse et à leurs besoins. Ce qui implique que son unique but devra être de remettre entre les mains du peuple une forme et des moyens d’expression qui étaient les siens avant que la bourgeoisie ne parachève son oeuvre de domination et de destruction. Pour le chanteur, ce sera lui faire redécouvrir sa musique et lui réapprendre à s’exprimer, à chanter sa vie, ses luttes, ses victoires.

Quand on affiche de telles idées, enregistrer un disque n’est pas la moindre des ambiguïtés. En effet, que représente le disque actuellement, sinon la consécration de la spécialisation de l’« artiste », spécialisation précédemment dénoncée ? Que représente le disque, sinon le type même du produit à consommer, excluant quasiment toute possibilité de production et d’expression pour celui qui l’entend ?

Consécration de notre spécialisation pour qui veut, mais pas pour nous. Ce disque n’a pas la prétention de briller au firmament des chefs-d’oeuvre du « Kan ha Diskan », ni de sacraliser notre titre de « Chanteurs » (avec un grand C). Mais le disque, produit de grande consommation, étant par le fait même un très important moyen de diffusion, le nôtre aspire tout simplement à répandre le plus possible notre pratique et ce que nous chantons, en espérant en provoquer d’autres par phénomène d’entraînement. Autrement dit, le but de ce disque est d’inciter d’autres personnes à pratiquer le « Kan ha Diskan » avec, bien sûr, des paroles traditionnelles, mais surtout des couplets exprimant tel ou tel aspect de leur vie et de celle de tous les travailleurs bretons. Si cet objectif est atteint, alors ce disque aura rempli son rôle de morceau de plastique producteur de sons et pourra aspirer à une juste retraite au fond d’une poubelle…

Et ainsi soit-il de tous les autres disques bretons, progressistes ou pas !

YANN-BER

LAMA MEUR / YANN BER kan ha diskan
LAMA MEUR / YANN BER kan ha diskan